Le Moulin Fondu, Oposito – CNAREP

L'Enfer des phalènes © Polak
Transhumance, l'heure du troupeau à Noisy-le-Sec, 1996 © Pertin
Transhumance, l'heure du troupeau à Montréal, 2001
Transhumance, l'heure du troupeau

[PARCOURS] De la marginalité au sommet

Un aller simple de Madère à la Bretagne

La longue histoire de la Compagnie Oposito s’étale sur quatre décennies et s’inscrit dans la biographie de son actuel directeur, Jean-Raymond Jacob, même si, avant lui, un autre créateur est à l’origine de la compagnie : Enrique Jimenez, dit Kiké.

Les hispanophones comprennent sans doute de manière plus limpide le nom d’Oposito, moins proche de l’opposition en langue française que d’opuesto en espagnol – le contraire, l’antipode, l’opposé, l’autre bord… Et, au commencement, il s’agit bien de cela : faire surgir, dans des villes et des villages, de vastes formes oniriques qui contredisent la réalité ordinaire.

Kiké se dira toujours :
Né de sang espagnol dans un pays arabe, en étant de culture française.

Il est né à Rabat, au Maroc, en 1939, de parents espagnols qui possèdent une petite usine de vêtements dont il devrait prendre la direction, puisqu’il est le fils aîné. Mais il préfère dessiner, peindre, démonter les réveils. À 18 ans, il débarque à Paris. Il obtient la reconnaissance en tant que peintre et décorateur, disciplines qu’il remet régulièrement en cause à mesure des révolutions artistiques successives des années 50, 60, 70…

Enrique Jimenez Moreno, exposition « Le saut de l’ange », 1997

Installé dans l’île de Madère, il y crée Oposito en 1979. Il est alors « un artiste en tout genre », comme il le dit volontiers – concepteur de machines spectaculaires, décorateur, costumier, comédien, metteur en scène… Il rencontre Els Comediants, la première grande troupe européenne de théâtre de rue, née en Catalogne en 1973.
Il collabore également avecla Fura dels Baus et le cirque Cric. C’est une rencontre avec des Français qui lui fait prendre un aller simple de Madère à la Bretagne, où il arrive en 1980 avec les costumes et l’imaginaire d’Oposito : un taureau de cuir sur une armature pour montrer une corrida bouffonne, des personnages fleurs ou papillons qui se glissent dans le carnaval de Nice tandis que, le soir, il présente en « version trottoir » Le Songe d’une nuit d’un cirque en hiver.

Ce cirque délirant créé en solo va agréger d’autres comédiens, passer des fêtes de villages aux maisons des jeunes, des « off » de festivals aux chapiteaux de « vrais » cirques.

 

 

Un activiste de l’éducation populaire

C’est un jour de 1983 qu’Enrique Jimenez est appelé au téléphone par un animateur du centre culturel et social des Fossés-Jean de Colombes, dans les Hauts-de-Seine.
Le jeune homme qui voudrait faire appel à Oposito s’appelle Jean-Raymond Jacob.
Ce Breton, né en 1958, et qui a grandi à Avignon, est un activiste de l’éducation populaire démangé par l’envie de créer l’émerveillement en dehors des salles
.

Kiké propose à Jean-Raymond d’installer dans un jardin botanique des structures en plastique habitées de personnages d’heroic fantasy. Mais le conseil d’administration du centre culturel refuse le budget. Le jeune programmateur quitte le lieu à la fin de la saison et part avec Oposito. Une épopée fondatrice commence…
Kiké passe la plupart de ses nuits dans le J7 branlant qui contient tout le matériel d’Oposito. On fait encore la manche après certains spectacles, des mairies payent en espèces des participations à des carnavals à bout de souffle, la logique d’animation des quartiers difficiles est parfois un sacerdoce.

Après avoir reçu des pierres dans une cité, les membres de la Compagnie Oposito décident de se fabriquer des armures.
Commence alors l’élaboration de L’Enfer des phalènes
, spectacle emblématique que la compagnie tournera pendant dix ans – un mélange d’inspirations érotico-barbares à la Mad Max et de fables autour de l’affrontement du Bien et du Mal. Des motos, des épées, des masques, des masses d’arme, des cris, du fracas et des interventions bientôt légendaires, comme dans la gare Montparnasse en 1988.

 

Progressivement, de commandes d’événements uniques en reprises et variantes de L’Enfer des phalènes, une forme de spectacle déambulatoire théâtralisé émerge, notamment avec Toro de Fuego, figure postmoderne d’un archétype archaïque, qui vivra une dizaine d’années à partir de sa première apparition en 1985. Partout où les combats à l’épée et les motos vrombissantes de L’Enfer des phalènes ne peuvent pas passer, le Toro de Fuego montre son mufle.